Tribune Maddyness création IA le piège de la vente de droits qui n'existent pas.

Les systèmes d’intelligence artificielle (IA) générative sont désormais des outils au service de nombreux créatifs. Face à cette révolution, des startups et agences créatives misent sur l’IA générative pour proposer des contenus sur mesure à leurs clients, soit grâce à la personnalisation de modèles d’IA générative pour la cohérence visuelle de marque, soit grâce à l’utilisation d’outils d’IA générative pour générer des contenus. Le problème ? Ces prestations sont souvent accompagnées de la vente de droits d’auteur sur les contenus générés. Si ce business model est en apparence séduisant, sa robustesse juridique est problématique puisqu’il consiste à vendre la propriété de contenus qui, juridiquement, ne peuvent pas bénéficier d’un monopole d’exploitation.

Quand l'IA crée, qui possède ?

En droit français, comme dans la plupart des systèmes juridiques de l’UE et anglo-saxons à l’exclusion du Royaume-Uni, le droit d'auteur protège uniquement les contenus créés par des êtres humains. Cette protection récompense l'effort créatif humain en accordant à l'auteur un monopole d'exploitation sur sa création.

Les contenus spontanément générés par IA, qu'il s'agisse d'images, de textes ou de vidéos, ne permettent pas de caractériser un effort créatif humain et ne peuvent donc pas être protégés par un droit d’auteur. Testé auprès du Copyright Office américain, l'argument du "prompt créatif" a été rejeté : selon le Copyright Office, la variabilité des résultats générés par un même prompt exclut toute caractérisation d'effort créatif humain.

Il existe toutefois une exception notable au refus du droit d’auteur sur les contenus spontanément générés par IA : les contenus générés avec l’assistance de l’IA. Lorsqu'un travail humain de retouche, de postproduction ou d'assemblage créatif vient transformer substantiellement le contenu généré par l'IA, alors ce contenu peut être protégé par un droit d’auteur.

Le cas particulier des contenus propriétaires du client

La situation se complique encore lorsque les contenus sont générés par IA sur la base d’éléments propriétaires du client : visuels, logos, chartes graphiques ou autres créations appartenant à ce dernier.

Dans cette configuration, les seuls éléments susceptibles de caractériser un effort créatif humain au sein du contenu généré sont précisément ceux du client. Par conséquent, c'est à ce dernier que devraient légalement revenir les droits sur la création finale.

Il paraît difficilement justifiable de facturer le client pour l'acquisition de droits sur une création dérivée de ses propres actifs de propriété intellectuelle : cette pratique expose l'entreprise prestataire à des risques commerciaux et juridiques.

Un risque commercial et juridique majeur

À mesure que le marché de l'IA générative se structure et que la jurisprudence se précise, les entreprises ayant fondé leur business model sur la vente de droits d’auteur fictifs risquent de se retrouver dans une situation délicate face aux premiers contentieux.

En outre, les clients, de plus en plus sensibilisés aux enjeux juridiques de l'IA, commencent à questionner la validité des droits qui leur sont cédés. Les directions juridiques des grandes entreprises clientes scrutent désormais avec attention les clauses relatives aux droits de propriété intellectuelle dans leurs contrats de prestations créatives.

Les conséquences potentielles sont lourdes : remboursements des sommes perçues au titre de la cession de droits, dommages et intérêts pour préjudice commercial, mise en cause de la responsabilité contractuelle, sans compter l'impact sur la réputation et la crédibilité de l'entreprise.

Adapter son business model : les bonnes pratiques

Face à ces enjeux, plusieurs stratégies permettent de sécuriser son modèle commercial tout en continuant à exploiter le potentiel de l'IA générative.

Première recommandation : abandonner la vente de droits d'auteur sur les contenus générés par IA sans intervention humaine substantielle. Mieux vaut concentrer la valeur ajoutée sur la prestation de service : l'expertise dans le paramétrage et l’utilisation des outils, la personnalisation du modèle.

Seconde recommandation : lorsque vos équipes transforment substantiellement les contenus générés par IA (retouche, postproduction, etc.), documentez ce travail créatif pour justifier la titularité des droits d’auteur vendus aux clients.

L'IA générative, oui ; les droits fictifs, non

L'IA générative représente une opportunité formidable pour l'industrie créative. Elle permet d'accélérer les processus de production, de personnaliser les contenus à grande échelle, d'explorer de nouveaux territoires créatifs. Rien ne justifie de s'en priver.

Mais cette révolution technologique doit s'accompagner d'une adaptation des modèles commerciaux et contractuels. La tentation de maintenir les schémas traditionnels de cession de droits d'auteur, même sur des contenus générés par IA, expose les entreprises à des risques juridiques et commerciaux considérables.

Plutôt que de vendre des droits qui n'existent pas, les startups et agences ont tout intérêt à valoriser leur expertise : la maîtrise des outils d'IA, la capacité à générer des contenus pertinents et personnalisés.

Car au final, c'est bien cette expertise humaine, cette capacité à donner du sens et de la direction à la puissance brute de l'IA, qui constitue la véritable valeur ajoutée des professionnels de la création à l'ère des IA génératives.

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